Rencontre avec la soprano Delphine Mégret

Elle est aveyronnaise, talentueuse et fut incontestablement l’« artiste vedette » de la saison 2022 de l’abbaye avec pas moins de sept projets de résidences et de concerts. Elle nous parle de son attachement à Sylvanès et aux belles rencontres faites en ce lieu…

Tu as étudié à la très réputée Guildhall School of Music and Drama de Londres. Que retires-tu de cette expérience ?
Beaucoup de choses, magiques mais éprouvantes à la fois. C’est très dur d’être dans un lieu si exigeant où la compétitivité et la recherche d’excellence étouffent parfois la passion simple d’aimer chanter. Ça forge pour le métier, ça c’est sûr !
On devait apprendre énormément de musique, sans pour autant délaisser tous les autres aspects du métier (langues, théâtre, danse, culture musicale, esprit critique, travail de groupe, savoir collaborer, créer, transmettre…); travailler avec des personnalités très différentes, savoir recevoir leurs conseils, les critiques, parfois décourageantes, faire avec, garder la tête froide et ne surtout pas perdre notre identité artistique. Je dois beaucoup à Michel Wolkowitsky car il restait le pilier, la référence même pendant toutes ces années pour que je ne me perde pas vocalement ni personnellement. Avec du recul je pense avoir relevé le défi et j’en suis très fière !

Aujourd’hui, c’est un retour aux sources?
Oui, un retour aux sources. Après la vie londonienne j’avais besoin de retrouver mes racines – « partir pour mieux revenir ». Il me semblait plus facile de bâtir ma vie professionnelle en tant que chanteuse ici en France, cela me ressemblait. Je sentais aussi que Sylvanès allait m’apporter un socle, un levier de rencontres artistiques…

Que représente pour toi Sylvanès ?
C’est très étonnant d’avoir autant d’émotions pour un lieu. Sylvanès m’accompagne depuis toute petite – je m’y suis rendue la première fois à l’âge de 5 ans pour assister à la représentation de L’arche de Noé de Britten où jouait ma sœur Shani. J’y ai fait des rencontres incroyables, d’ami(e)s chèr(e)s, de grands artistes, des moments de partages avec des personnes de toutes origines, milieux et expériences diverses, c’est très enrichissant.

Des souvenirs marquants?
Beaucoup de premières fois qui restent gravées à vie, comme la première fois qu’on chante sur scène ou mon premier Requiem de Mozart dans l’immense abbatiale. Et tous ces concerts magnifiques qui m’ont inspirée et m’ont construite. Impossible de ne pas mentionner la rencontre la plus belle qui soit avec Michel Wolkowitsky, puisque tout cela est en grande partie grâce à lui : il m’a ouvert les portes de Sylvanès comme celles de ma maison.

Si tu devais choisir le projet mené avec Sylvanès qui t’a le plus marqué en 2022, lequel citerais-tu ?
Dur de choisir… mon coeur s’attarde tout de même sur le récital « Trois Poèmes Mystiques » auprès du compositeur, chef d’orchestre, pianiste Thierry Huillet et la violoniste concertiste Clara Cernat. C’est indescriptible d’avoir le privilège d’interpréter une musique composée pour l’occasion et de la façonner avec le compositeur et le pianiste lui-même ! J’ai eu l’honneur de rencontrer ces deux musiciens pour un récital tout aussi magique en 2020 autour de Debussy et du compositeur Raphaël Lucas. J’y avais ressenti une sorte d’apaisement artistique : tout ce que j’avais aspiré à vivre en tant que chanteuse avait abouti à Sylvanès ce soir là, tant ce concert était riche humainement et musicalement… alors remettre ça deux ans plus tard c’était the cherry on the cake !

Tu chantes du classique, du contemporain, de la comédie musicale… mais quel est ton répertoire de prédilection ?
J’ai cette démarche qui tend à diversifier les projets tant dans leur forme que dans leur contenu et je n’ai jamais cherché l’hyper-spécialisation, bien au contraire. Je crois de plus en plus que la voix peut s’adapter à tous les styles et répertoires tant qu’on la respecte et qu’on l’utilise avec les bons mécanismes. Comme l’enseigne Michel Wolkowitsky, il ne faut pas s’enfermer dans un son, une couleur, une seule façon d’utiliser sa voix mais au contraire garder ouvert le « chant » des possibles.

Mixer les styles musicaux, créer du lien entre eux : pourquoi est-ce important pour toi ?
Car le monde évolue et que c’est notre devoir en tant que musicien professionnel de garder l’esprit ouvert à ce qui se passe autour de nous. Le risque parfois d’être un interprète de musique du passé et de perpétuer sans cesse ce qui s’est déjà fait encore et encore peut enfermer cette musique et la figer. Le but de créer du lien n’est pas une lubie pour être à la mode en 2022 mais une nécessité qui se fait ressentir de toute part, car de nombreux artistes sont prêts aujourd’hui à se rassembler, collaborer, faire tomber les murs pleins de fausses croyances et de s’enrichir ensemble. Et c’est surtout à nous, les musiciens qui venons du classique de faire le premier pas. Mais ceci reste peut-être un point de vue très personnel… et parce que je n’ai pas envie de me sentir mise dans une case même si je suis incroyablement fière de faire vivre la musique classique et que c’est ce qui m’anime vocalement le plus bien sûr.

Représentation de « La Belle et le Loup », comédie musicale jeune public – Paloma juin22 © Stéphane Mathieu

 

Quel artiste t’a le plus inspirée ?
Dur… en plus j’aime surtout écouter tout ce qui n’est pas en rapport avec ce que je fais ou mon type de voix, du genre Cesaria Evora, Freddy Mercury, Wagner, Sarah Vaughan, Yseult ou des voix plutôt lyriques et graves comme Matthias Goerne. Mais bon, il y a tellement de sopranos que je ne peux qu’admirer comme Margaret Price, voix étonnante de finesse et de puissance, Patricia Petibon, Natalie Dessay tellement fascinante et bien sûr Maria Callas, qui était Carmen sur le seul CD d’opéra que j’avais à la maison quand j’étais petite… Ma première référence !

Quel autre métier aurais-tu pu faire ?
Je ne sais pas… mais j’ai toujours eu ce fantasme d’être écrivaine ou spéléologue, vraiment rien à voir !

Quelle partition emporterais-tu sur une île déserte ?
Sûrement le Requiem de Verdi pour ne surtout rien oublier de cette œuvre et pouvoir l’entendre dans ma tête, car ce n’est pas du tout pour mon type de voix par contre.

Quels conseils donnerais-tu à un(e) jeune qui souhaite devenir artiste lyrique ?
De foncer ! Si on est animé de quelque chose, il faut y aller et constamment travailler sur soi pour ne pas être guidé par la peur mais plutôt par notre lumière intérieure.

 

L’actualité de Delphine à suivre sur www.delphinemegret.com