Pons de Léras, un convers pas comme les autres…

On l’a vu précédemment, Pons de Léras, après s’être repenti de ses actes de violence, se tourne vers une carrière de religieux en ce début de XIIe siècle. En 1132, partant de son ermitage de Sainte Marie du Théron, dans l’actuelle vallée de Sylvanès, sur la rive Sud du Cabot, il s’en va vers l’abbaye cistercienne de Mazan située à plusieurs jours de marche au Nord-Est. Là-bas, il va se former à une vie monastique exigeante et très réglementée, mais qui laisse la place à des profils très divers. Cette place au sein de l’ordre de Cîteaux, Pons la trouve parmi les frères convers.

Mais… C’est quoi un frère convers !?
Le statut de frère convers n’est pas une invention cistercienne. Avant le XIIe siècle, dans d’autres ordres religieux, chez les clunisiens par exemple, les convers sont des adultes choisissant de prononcer leurs vœux monastiques et de se mettre au service d’une communauté religieuse. Ils ont connu une vie de laïc qui leur confère, en général, une certaine appétence pour les travaux physiques, dont les moines prieurs sont assez peu friands. Entre autres, ils défrichent, labourent et cultivent des domaines monastiques encore relativement restreints. Souvent, ces convers sont issus de la classe laborieuse, subordonnée au clergé et à la noblesse durant l’époque médiévale. En prenant l’habit religieux, ils espèrent trouver une vie plus paisible au sein d’un monastère, sans pour autant s’élever socialement. Cependant, les places sont rares. Cîteaux change la donne.

Essai de reconstitution des vêtements monastiques : à droite, les moines tonsurés portent une tunique et un scapulaire; à gauche, les convers, hirsutes et barbus, sont vêtus d’une tunique avec scapulaire et capuchon.
Illustration © Denis Poughon, extrait du livre “Vivre dans une abbaye” de Jean-Baptiste Lefèvre

Quoi de neuf pour les convers cisterciens ?
Alors que les cisterciens commencent à essaimer, en fondant de nouvelles abbayes, Étienne Harding, abbé de Cîteaux, commence en 1119 la rédaction de la Charte de charité. Ce document, constitutif de l’Ordre, apporte, entre autres, des précisions sur l’organisation économique cistercienne. On y apprend que les moines doivent exploiter directement l’entièreté de leurs domaines, en refusant le système de la tenure qui fragilise les possessions monastiques.  Or, les domaines cisterciens sont vastes, et les moines doivent se consacrer en priorité à la prière. Les convers, main-d’œuvre gratuite, deviennent alors essentiels. Pour preuve, au XIIe siècle, ils constituent les deux tiers de la population des abbayes affiliées à Cîteaux. On trouve parmi eux des hommes et des femmes issus d’origines sociales variées (ce qui est exceptionnel pour cette époque), soucieux du Salut de leur âme et, pour certains, convaincus par les mots de Bernard de Clairvaux : « Travailler, c’est prier ». Les granges monastiques, parfois éloignées des monastères, font partie de leurs lieux de vie. C’est depuis ces granges qu’ils se chargent du commerce des éventuels excédents de production.

Légende, les frères convers (à gauche) s’occupent du travail manuel tandis que les moines (à droite) prient. Source: enluminure extraite du Commentaire sur l’Apocalypse avec Interpolations d’Alexandre de Brême (fin XIIIe siècle)

 

Et Pons de l’Héras dans tout ça ?
On pourrait voir ces convers comme des religieux « de seconde zone », ne portant même pas le nom de moine, si des cas comme Pons de Léras n’existaient pas. Loin d’être devenu un humble laboureur au service de la communauté monastique, l’ancien chevalier est cité comme témoin dans plusieurs actes de donations faites à l’abbaye de Sylvanès. Il semble donc rester à la manœuvre dans l’accroissement du domaine monastique même après la transformation de son ermitage en monastère cistercien en 1136, dont il n’est théoriquement plus le chef. Ces éléments peuvent créer un doute sur son statut de convers, ou au moins sur le laps de temps durant lequel il le fut. Mettons cela sur le compte d’une période où l’organisation cistercienne est encore balbutiante, en particulier à Sylvanès, au tournant des années 1140. A ce moment, les convers paraissent bénéficier de davantage de responsabilités, pour le bonheur d’anciens seigneurs comme Pons de Léras. En 1188, l’Ordre cistercien finit par interdire au membre de la noblesse de devenir convers, cantonnant pour de bon ces frères à une place inférieure.